La voix du mois : Philippe Bacci, Manager Innovation chez NHOOD, Association Famille Mulliez.

Bienvenue dans la série « La voix du mois », dans laquelle nous mettons en lumière les expériences et les points de vue de leaders de l’immobilier, de l’innovation et de la French Tech. Notre invité de ce mois-ci est Philippe Bacci, Manager Innovation chez NHOOD, société de services dans l’immobilier (Association Familiale Mulliez). Avec une expérience opérationnelle en tant que Directeur de Centre, Philippe Bacci apporte une perspective unique à son rôle de Manager Innovation. Dans cette interview, nous allons nous plonger dans son parcours, son expérience, ainsi que dans ses réflexions sur l’avenir de l’immobilier commercial. Sans plus attendre, découvrez notre interview de Philippe Bacci, la voix du mois.

À quoi ressemble le quotidien d’un manager innovation chez NHOOD ?

Aujourd’hui, je dirais que je suis un facilitateur, un intrapreneur pour la transformation des sites. Au quotidien j’accompagne des startups pour les intégrer dans notre feuille de route et ainsi relever les défis du retail. Nous sommes par exemple actionnaires d’Euratechnologies, c’est d’ailleurs par ce biais que j’ai rencontré YOUrban. Je développe également un projet pilote d’accélération sur la région AURA où, au travers d’un appel à candidature, nous avons sélectionné 8 startups locales pour les accompagner sur l’aspect opérationnel avec NHOOD et sur l’aspect académique avec POLYPUS (levée de fonds, RH, commercial…). L’appel à candidature concernait par exemple plusieurs thématiques : la mobilité, les loisirs, le digital, la tech et les nouveaux services, car ce sont les sujets sur lesquels le groupe se concentre. Notre ambition chez NHOOD, c’est de « Faire des lieux en mieux ». Nous avons donc besoin de cet accélérateur pour faire mieux et toujours proposer de meilleures expériences digitales et clients.

Pourriez-vous nous parler de votre parcours ?

J’ai fait différents métiers. Au démarrage je travaillais à la commercialisation des sites et des enseignes. J’ai travaillé ensuite au développement sur les aspects de préfigurations – ce que pourraient devenir des sites en développement. Et pendant 7 ans je me suis consacré à l’exploitation, à la gestion de sites – la vie d’un centre commercial. Fort de cette expérience, j’ai souhaité proposer une feuille de route à ma direction générale où je mettais en avant un certain nombre d’idées et de propositions pour accélérer la transformation des sites, pour valoriser les avantages concurrentiels sur la transformation des sites afin d’avoir un avantage stratégique et opérationnel.

J’ai ensuite repris des études à l’EMLYON pour découvrir et mettre en pratique l’entrepreneuriat conjointement à mes missions au sein de NHOOD. C’est finalement entreprendre qui m’a donné envie d’intraprendre.

« Il y a une nécessité d’innover pour répondre aux besoins des consommateurs car ce sont eux les véritables maîtres d’usage. »

Quels sont selon vous, les plus grands défis du retail aujourd’hui?

Le commerce est un reflet de la société : il n’invente rien et s’adapte à son environnement. Aujourd’hui il y a d’énormes mutations sociales, politiques, économiques et environnementales. La société de consommation fait face à cinq défis majeurs :

  • une crise écologique,

  • une crise de confiance,

  • une crise éthique,

  • la transformation digitale,

  • une inquiétude sur le pouvoir d’achat.

Il y a également de nombreuses fractures territoriales : les villes moyennes et les campagnes se précarisent, les grandes villes concentrent la majorité des richesses, il y a un vieillissement de la population, une modification des schémas familiaux

Photographie réalisée par Bruno Cervera

Il y a beaucoup de défis pour le monde du retail qui engendrent des changements majeurs, comme l’utilisation de la data. Aujourd’hui on est vraiment dans une société data-driven. Il y a donc une nécessité d’innover pour dans un premier temps identifier et ensuite répondre aux besoins des consommateurs car ce sont eux les véritables maîtres d’usage.

« Les modes de gouvernances traditionnels n’arrivent plus du tout à impulser ce qu’attendent les jeunes générations et les digitales natives. »

Photographie réalisée par Gustavo Fring

Comment se traduit concrètement ce changement de paradigme dans l’immobilier commercial ?

Avant les grandes foncières et les grands bailleurs trouvaient un terrain, commercialisaient, décidaient où ils allaient mettre les enseignes…

Aujourd’hui, non seulement ils ne peuvent plus développer car il y a la ZAN (Zéro Artificialisation Net) – il faut donc faire mieux à isopérimètre. De plus, les enseignes ne sont plus dans une phase de développement mais de restructuration. Enfin, les consommateurs veulent être acteurs : ils veulent être associés dans la démarche, dans les choix qui sont réalisés.

Il y a donc une nécessité pour les grandes entreprises de se transformer car nous sommes en plein changement de paradigme, avec un impératif de travailler avec des modes hybrides car la verticalité et les modes de gouvernances traditionnels n’arrivent plus du tout à impulser ce qu’attendent les jeunes générations et les digitales natives.

En fait, si on devait retenir deux axes majeurs de la transformation du retail, ce serait :

  1. Avoir un impact positif sur l’ensemble de nos actions

  2. Proposer une expérience seamless et émotionnelle.

« Si on veut recréer du flux, il faut recréer de l’intérêt. »

Quels leviers sont à disposition pour recréer du trafic ?

Mon sentiment c’est que si on veut recréer du flux, il faut recréer de l’intérêt. Aujourd’hui, les offres marchandes ne suffisent plus à convaincre : les consommateurs veulent être reconnu avant, pendant et après leurs visites. Ils veulent vivre quelque chose de différent. Sinon, il n’y a aucune raison pour qu’ils aillent perdre du temps de transport pour se rendre dans un centre commercial alors qu’avec Amazon, ils ont tout sans bouger de chez eux.

Jean Viard, un sociologue et auteur que j’apprécie particulièrement, disait justement que les espaces de rencontre aléatoires étaient de plus en plus rares. En effet, aujourd’hui, on mesure d’abord l’intérêt d’une rencontre dans la vie réelle avant de se déplacer, que ce soit au niveau personnel ou professionnel. Pour devenir un vrai hub, le centre-commercial doit donc recréer de l’intérêt pour que les gens se déplacent.

Photographie réalisée par Startup Stock Photos

Pourquoi intégrer la collaboration avec des startups dans votre feuille de route stratégique ?

Nous sommes dans un monde d’incertitudes. Pour sortir de cette dernière, il faut avoir des convictions et choisir un futur plutôt que le subir. En s’associant avec des startups, nous participons à construire ce futur.

Par ailleurs, la pandémie a entraîné une accélération de la transformation digitale et a transformé un certain nombre de référentiels. Les startups s’y sont engouffrés car elles sont plus flexibles, plus rapides et peuvent développer plus rapidement.

Elles nous permettent de tester des solutions et d’itérer beaucoup plus vite afin de trouver des solutions aux problèmes de nos clients. La capacité de sortir de son métier est très complexe dans les grosses structures avec des processus administratifs souvent très lourds et une verticalité qui n’est pas forcément adaptée à une approche itérative.

Aujourd’hui la transformation n’est pas simplement marketing, c’est un véritable choc culturel qui transforme nos métiers au quotidien et nous oblige à remettre notre modèle en question, à pivoter, à travailler avec différentes structures, à créer son propre pôle innovation… Tous les dirigeants sont dans le même questionnement.

Photographie réalisée par Tima Miroshnichenko

Quel sont les bénéfices concrets d’une telle alliance ?

Aujourd’hui nous allons chercher des expertises externes afin de répondre aux enjeux du groupe. Par exemple : nous avons beaucoup de foncier agricole autour de nos centres commerciaux, qui sont donc inconstructibles. Nous réalisons donc un projet pilote avec un expert des sujets agricoles FOODBIOME, une solution AMO de reterritorialisation de la production agricole. Finalement on a des terrains mais pour développer la solution en interne, nous avons besoin d’un expert. Ainsi, on ne va pas simplement valoriser le terrain mais aussi de tout l’actif dans son ensemble.

On est à l’aune d’hybridations de plus en plus importantes : nous avions pour habitude de travailler en silos, en verticalité.

Aujourd’hui, nous allons travailler de façon horizontale au sein de l’entreprise mais aussi avec toutes les enseignes du groupe. Il y a donc un enjeu stratégique à se rapprocher de startups pour sourcer toutes les pépites et assurer notre leadership demain.

En travaillant avec des startups on accélère la transformation de notre business model tout en acculturant les salariés à un nouveau mode de fonctionnement, plus itératif, plus rapide, en mode sprint, d’oser essayer… Cela permet également de susciter des vocations des salariés de l’entreprise qui pourront profiter d’un accompagnement pour développer leur structure.

« Le centre-commercial de demain est un espace 360° qui pourra répondre à l’ensemble des besoins et émotions »

Nous avons parlé des enjeux actuels, mais quid des opportunités ?

Nous avons un espace très intéressant à valoriser.

Il y a un axe de transformation du foncier agricole et des parkings. Avec le report modal, nous pourrions faire de nos centres de véritables espaces aléatoires de rencontre pour créer des lieux où l’on peut apprendre, se détendre, se soigner, vieillir… Nous pourrions rapprocher les différents usages en rapprochant de la production, des commerces, de l’industrie, des incubateurs, des entrepreneurs…

Il y a également une opportunité de transformation en lien avec la mixité d’usage, en compensant ou préemptant ce qui était parfois dévolu au service public. Par exemple, pour palier à la fracture digitale nous pourrions mettre à disposition des bureaux ou des centres de formation, accompagner les seniors, proposer des jardins partagés, permettre aux startups d’échanger avec nos clients finaux dans des espaces…

Il s’agit finalement de concevoir des espaces qui vont participer à créer une mémoire, car on se souvient plus volontiers d’un concert que de l’achat d’un panier gourmand. À mon sens, le centre-commercial de demain est un espace 360 qui pourra répondre à l’ensemble de mes besoins et émotions.

Photographie réalisée par Andrea Piacquadio

Parlons des freins et notamment des digital natives : les grands absents des centres-commerciaux. Comment les convaincre de revenir ?

Nous pouvons observer aujourd’hui l’intérêt et l’importance des influenceurs dans tous les domaines. De nombreuses communautés se créent partout, dès que l’on est dans le « non branding ».

J’imagine le centre-commercial de demain comme un réceptacle de communautés, un lieu hybride où l’on pourra se retrouver dans des moments zen, d’adrénaline, de travail… Un espace où le contact – qui est le gros avantage du commerce physique – est primordial.

Pour attirer les digital natives, il est nécessaire de créer une communauté : un espace de rencontre entre personnes ayant des valeurs communes.

Aujourd’hui le centre-commercial doit être associé à du marketing de contenu, d’évènementiel, d’expériences. Par exemple, il ne faut plus simplement vendre une perceuse mais faire venir un spécialiste des perceuses qui va vous apprendre à la choisir, à l’utiliser et diffuser ce contenu largement en ligne.

« Le point de rencontre entre le digital et le physique, c’est la communauté. »

Quel est votre avis sur les avatars, le metavers et toutes les solutions digitales ?

Le point de rencontre entre le digital et le physique, c’est la communauté.

Aujourd’hui on continue d’aller au restaurant mais on peut commander sur nos smartphones à l’aide de QR code. Le digital permet de simplifier les échanges avec le client et de capitaliser sur la data pour mieux identifier et répondre aux attentes des clients.

Aujourd’hui la question est de comprendre comment engager les habitants d’un territoire et construire une communauté. Il est donc nécessaire de trouver des méthodes et des outils pour recueillir les besoins des habitants pour leur donner envie de s’engager.

Avant nous étions des influenceurs : on construisait des sujets et on regardait ensuite si ça fonctionnait. Aujourd’hui nous devons être des écouteurs : nous devons arrêter de faire des études cosmétiques pour véritablement comprendre ce dont les habitants ont besoin avant de lancer un projet.

Des groupes comme les nôtres ont beaucoup communiqué sur des engagements avant de les mettre en place. Chez Nhood nous souhaitons d’abord faire, avant de communiquer.

C’est aussi pour cela que des solutions comme YOUrban, capables de photographier les attentes des populations en temps réel sont alors essentielles, car objectives. Elles permettent ainsi de fédérer les acteurs autour de la table pour créer des projets qui ont du sens.

Photographie réalisée par Andrea Piacquadio

Comment réussir sa collaboration avec une startup ?

Beaucoup « jouent » à l’innovation en rencontrant des startups à la chaîne et ne leur donnent plus de signe de vie au moment de contractualiser. Les dirigeants de startups n’ont pas le temps pour ces effets de manche : ils ont investi du temps, de l’argent dans leur entreprise, il faut donc en tenir compte et ne pas les faire patienter pour rien.

Une première étape est donc de sonder l’envie réelle d’avancer ensemble, des deux côtés, avant de chercher une startup.

La deuxième étape est la détection de startups à potentiel. Pour cela voici quelques questions à se poser pour sourcer les bons projets :

  • Est-ce que cela répond à la stratégie de l’entreprise ?

  • Est-ce que cela répond à un besoin métier ?

  • Est-ce que je crois en son dirigeant ?

La troisième étape consiste à présenter les projets au groupe et à sélectionner les startups avec qui nous allons collaborer. Il est donc crucial que les startups puissent démontrer :

  • Leur capacité à faire comprendre l’intérêt de leur solution pour notre entreprise

  • Leur capacité à nous embarquer dans leur histoire.

  • De la persévérance et de la flexibilité.

En parallèle, il faut trouver des alliés intrapreneurs pour défendre les projets en interne et tenir une conduite du changement.

Votre conseil aux startups qui viennent vous vendre leur solution ?

Avant de vendre une solution, échangez avec les personnes de l’entreprise pour comprendre leurs besoins.

Par exemple prenons le cas de YOUrban. Au lieu de simplement présenter ta solution, tu nous as expliqué le sens, le pourquoi. Tu nous a demandé ce qu’on attendait, ce qui nous intéressait. Tu n’as pas essayé de nous faire rentrer dans tes cases mais plutôt de comprendre comment ta solution pouvait rentrer dans les nôtres.

Une innovation à conseiller à nos lecteurs ?

Oui, une innovation organisationnelle. Certaines entreprises organisent des COMEX SHADOWS : ils font venir quelqu’un qui n’est pas au comité de direction pour ouvrir les chakras. Cela peut être intéressant d’intégrer des collaborateurs qui ont une expertise, une vision pour nourrir la vision du groupe.

Aujourd’hui on ne pourra pas transformer l’entreprise en reproduisant des modèles. Il faut donc investir sur des gens engagés, qui ont une culture entrepreneuriale et des profils hybrides avec la volonté de changer les choses.

MINIBIO

Philippe Bacci travaille depuis 10 ans au sein de l’entreprise NHOOD, société de services immobiliers à destination des enseignes des centres commerciaux et de l’AFM (Association Familiale Mulliez). Sa mission est de donner vie à l’ambition de NHOOD : Faire des lieux en mieux. Pour cela, il mise sur l’innovation pour répondre aux enjeux de transformation des sites en intraprenant avec les startups détectées au travers des programmes d’incubation et d’accélération dans lesquels l’écosystème AFM (Association Familiale Mulliez) est actionnaire.

https://go-yourban.com