« L’architecture ne se regarde pas de haut, nous ne sommes pas des oiseaux ». Nicolas Labrie, Montréal

Nicolas Labrie est président et fondateur de LabNCo, un laboratoire de recherche-création Québécois avec une approche basée sur la science et l’expérimentation, et appuyée par la collaboration et la transdisciplinarité.
 
Accompagné par Luana Lefort, technicienne en architecture, Nicolas Labrie nous livre en exclusivité sa vision de l’architecture, de la Smart City, de l’Innovation… et des différences entre l’immobilier québécois et français.

Q : Pouvez-vous vous présenter ?

> Invité 1 : Bonjour, Nicolas Labrie. Je suis le fondateur de LabnCo, une firme de design et d’architecture un peu particulière. On intègre les technologies, la science, le storytelling et surtout ce qu’on fait c’est qu’on maximise la rétroaction, des gens et des faits scientifiques et des données.

> Invité 2 :Je m’appelle Luana Lefort, j’ai fait mes études en France donc je suis architecte diplômée de l’état de l’ENSAP Bodeaux. J’ai commencé à travailler en architecture au Québec il y a deux ans et je suis chez LabnCo depuis Octobre dernier.

Q : LabnCo en 3 mots ?

> Nicolas : Il y a l’idée de la « rétroaction », qui est essentielle. Il y a l »‘innovation » et puis je dirais qu’il y a l' »humain ».

> Luana : « L’innovation » – je le vois au quotidien non seulement dans les méthodes qu’on veut mettre en place mais aussi dans les méthodes internes d’essayer de toujours nous dépasser, d’aller à la recherche, de prendre le temps de faire des recherches sur ce qui est nouveau et comment on peut gagner en efficacité et délivrer la plus grande qualité au final.  Je dirais en deuxième « qualité » puis l’ »humain » aussi, non seulement dans ce qu’on fabrique en tant qu’architecte mais aussi dans la culture de l’entreprise.

Q : Quelle est l’ambition de LabnCo ?

> Nicolas : Son ambition c’est d’apporter une manière de faire du design autrement, pas seulement basée sur l’intuition mais sur la mesure, la validation et la rétroaction. C’est un design en phase avec la réalité. Pas seulement « je pense que » mais « je sais que » et « je valide que », qui est plus viable à long terme.

Q : Comment faites-vous ?

> Nicolas : Il y a déjà la « rétroaction humaine » n’est pas la plus importante mais elle permet d’aller chercher des expertises, des consensus, des perspectives variées. La « rétroaction factuelle » – la data – est plus difficile à aller chercher car c’est quelque chose de très nouveau, on the edge.

Présentement on travaille et on intègre beaucoup avec le principe de « design participatif » et de « design thinking » : on va intégrer les gens, l’ensemble des parties prenantes autour de la table – que ce soit les usagers finaux, les utilisateurs, les employés, les maîtres d’ouvrages, les clients mais aussi tous les experts nécessaires au projet. On est comme un espèce de blender qui va faire communiquer les données entre elles.

Q : L’immobilier Canadien est-il différent de l’immobilier français ?

> Luana : Je pense qu’il y a des différences culturelles mais il n’y a pas d’avance ou de retard.

La loi des architectes ici protège mieux la profession qu’en France où une loi a été passé, qui permet aux promoteurs de faire des projets encore plus grands sans avoir recours à des architectes. C’est une profession qui souffre de son élitisme, de cette vision qu’ont les gens « on ne prendra pas un architecte, c’est trop cher », dans les deux pays.

> Nicolas : En France, vous avez une culture du pré-projet très présente. Je pense que dans l’immobilier c’est beaucoup la question de l’argent qui mène les projets. Souvent il y a des choses qui vont être mises de cotées et qui ne seront pas valorisées parce qu’elles coûtent chères et n’ont pas de résultat direct. Dans un monde marchand, capitaliste, malheureusement, il est nécessaire de démontrer une véritable valeur ajoutée.

> Luana : En France ce sont principalement les gros groupes de construction qui sont en charge des gros projets de multi logements. Ils ont donc une aversion au risque assez faible, ils peuvent se permettre d’innover comme cela a été fait à Bordeaux avec l’immeuble en construction bois. Ce sont des grands groupes donc ils peuvent prendre le poids du risque. En termes technique, ici, le multi logement est souvent fait de la même manière, car c’est un modèle économique qui fonctionne. C’est un peu du moyen-haut de gamme, c’est du multi-logement avec des services en plus avec des salles de sport, des piscines intérieures, des chalets sur les toits…

> Nicolas : C’est vrai qu’ici il y a plus de petits promoteurs. Leur aversion au risque est donc très grande et en même temps ce sont des entrepreneurs donc ils savent calculer le risque. Généralement tout est vendu avant d’être construit ou presque, via de la vente sur plan, donc ils arrivent très bien à gérer leur risque. En Europe on peut monter un projet avant de l’avoir vendu. Au Canada, le projet se fait que si le projet est complètement vendu et qu’on sait déjà qui est propriétaire. Ici, les gens achètent beaucoup sur plan sans avoir vu quoi que ce soit. Dans l’immobilier commercial comme dans l’immobilier résidentiel cela fonctionne comme ça. Évidemment il y a des promoteurs qui se démarquent mais je pense qu’en France comme au Québec, il y a des promoteurs qui font de la masse et d’autres qui font de la niche. Les promoteurs de niche vont plutôt regarder la visibilité de la marque, la reconnaissance et prêter attention à des indicateurs sociaux et pas seulement économiques. Éventuellement, tous les promoteurs ont intérêt à intégrer les metrics car mesurer c’est prévoir. Mais certains pensent encore que l’intuition c’est suffisant, ce qui est un très gros biais cognitif.

Q : Vous avez parlé d’intelligence collective de design thinking, qu’est-ce que c’est ?

> Nicolas : « Le tout est supérieur à la somme de ses parties. » C’est-à-dire que quand on rassemble des expertises, des connaissances, des vécus, il y a quelque chose qui émerge, deplus grand que ce que les individus apportent individuellement.

Par exemple, on rassemble des décideurs – qui ont des connaissances économique, politique, mais pas terrain. Alors on va aller voir des usagers, des employés, qui ont une connaissance du terrain. Pour avoir des expertises plus scientifiques, on va voir des urbanistes. Pour des expertises technologies, on va aller voir d’autres personnes… Et quand on fait la synthèse, on a des choses pertinentes qui émergent. Chez LabnCo, on se considère comme des intermédiaires – voir un traducteur – entre toutes ces expertises.

Quand on est multi-perspective, on voit beaucoup plus loin ! Souvent on cherche la solution dans sa propre perspective alors que souvent la solution est dans une perspective différent, et on ne la voit pas car on se met un filtre. Parfois il suffit de poser la question différemment car le problème n’est pas celui qu’on veut résoudre.

> Luana : J’ai été sensibilisé à ces méthodes d’innovation lors de mes études en arts appliqué, en design de produit. J’ai trouvé qu’on les mettait plus facilement en oeuvre dans ce domaine, qu’en architecture.

Dans le design produit, on doit arriver dès le début avec 5,6 idées de produits et ensuite on teste. En architecture, le projet est tellement long qu’on a l’impression qu’en rajoutant des petites étapes, c’est sans fin. Pourtant il faut valider ces étapes là pour valider le projet au fur et à mesure et avoir une proposition cohérente.

> Nicolas : Il n’y a rien de très magique dans ces méthodes, c’est de la conception en validation continue. On fait des hypothèses successives et on les valide en faisant des tests utilisateurs. C’est une façon de concevoir à petits pas en vérifiant si ça fit avec la réalité. C’est une pensée itérative.

Le design thinking n’est pas forcément avec des données quantifiables, mais qualitatives qui permettent d’intégrer la rétroaction humaine. On peut développer des méthodes agiles qui associent données humaines et factuelles – la data.

L’approche « lean startup » ou « Toyota » ont une chose en commun : elles avancent en validant. On regarde comment la réalité nous répond, que ce soit en design, en business ou en sciences, c’est le même processus. En chimie, on mélange des produits et on voit ce que ça fait, ce que la réalité répond. En business, on lance un projet, on le pitch et on voit comment les clients répondent, on s’ajustent. En design, c’est pareil. On l’envoie aux gens et on voit comment ils répondent, puis on le modifie. On a juste donné des noms différents parce qu’il y a des secteurs différents.

Q : Est-ce que ces méthodes sont mises en pratique dans l’immobilier ?

> Luana : C’est vraiment quelque chose qu’on essaye de nous inculquer à l’école mais quand on arrive dans la réalité du monde professionnel, on commence à faire des coupes car cela ne donne pas de résultat concret. Chez LabnCo, on essaye de valoriser cette expertise-là, le temps donnée à l’analyse pour répondre à toutes ces problématiques.

> Nicolas : On les utilise à l’université puis on arrête dans le monde professionnel, car ça coûte « trop cher ». En réalité, c’est une façon de gérer le risque ! Grâce à ces méthodes, on va mesurer le risque au fur et à mesure qu’on avance dans le projet. Et pour ça, on y va pas à pas et on intègre les gens – ce qui répond à la question de l’acceptabilité sociale des projets.

Q : Pouvez-vous nous parler d’un de vos projets phare, la sentinelle de Bromont ?

> Nicolas : Déjà c’est particulier car le client – un particulier – a fait un concours pour sa maison. J’ai commencé par aller sur le site, j’ai marché pendant une heure pour me rendre compte de l’environnement.

On a commencé par étudier le site, son potentiel, ses contraintes réglementaires, les servitudes, le soleil, les vents, les percées visuelles, la topographie du site… 10% du site n’était pas constructible à cause des zones inondable.

Et puis il y a toutes les contraintes au niveau de la ville, du promoteur type « ne pas voir la maison de la rue », « il faut de la nature »… Il faut ramasser toutes ces contraintes et finalement le projet émerge presque de ces dernières.

Enfin, le client avait ses besoins sportifs, un vestiaire lorsqu’ils reçoivent, des vélos, des motocross… le programme était très ample sur un site très compressé.

Q : Quelle est la place de l’art dans l’architecture, d’après vous ?

> Nicolas : Il y a une grosse influence de l’école des Beaux Arts. L’architecte est encore très près de l’artiste, plus que du scientifique, du manufacturier, du designer industriel.

En architecture il y a encore cette idée du maître, à la Picasso, qui donne ses commandes sur la toile et sur l’oeuvre qu’il créé. Mais l’architecture c’est plus qu’une oeuvre d’art, c’est quelque chose à travers lequel on vit.

Après tout le mouvement structurel des constructivistes, l’architecture est devenu une sculpture et on a oublié un peu que c’est surtout quelque chose dans lequel on vit. Je ne vivrais pas dans un tableau de Picasso. Il y a des oeuvres magnifiques, mais certaines ne font aucun sens.

Parfois on dirait que ça n’a pas été fait pour des gens mais que ça a été fait pour regarder de haut. Mais nous ne sommes pas des oiseaux, on est des humains ! On devrait regarder l’architecture comme dans un jeu vidéo, en regardant avec nos yeux. C’est avec cette perspective-là que l’architecture devrait être conçue et pas avec une perspective d’oiseau.

Q : La Smart City, utopie ou réalité ?

> Nicolas : Il faut revoir ce terme-là. Le sens donné a été très porté sur la technologie pour aider les humains mais je pense qu’il faut intégrer de nouveaux metrics pour que ce soit vraiment smart pour les gens, et pas juste intelligente pour les décideurs. La ville doit être bénéfique pour l’expérience des gens, à travers les metrics qu’on regarde.

Il y a deux aspects : les promoteurs et les villes – le parc immobilier urbain. Les villes doivent être les premières à utiliser la data pour gérer leur parc immobilier urbain. Les promoteurs vont aussi devoir l’utiliser pour diminuer leur coût et augmenter leur notoriété.

Si on veut planifier les villes de manière durable, il faut ls pousser à se tourner vers la data. La data science pourra les aider à voir à l’avance, aider leurs décisions et répondre à certains enjeux d’étalement urbain, de densification, pour faire les choses en harmonie avec les gens.

Il faudra cependant centrer la data science sur l’humain pour que ce soit pertinent, comme l’architecture organique qui s’inspire de la neuroscience et de la nature. Quelle expérience est-ce qu’on veut faire vivre aux humains ?

Les villes ont tout intérêt à aller chercher ce type de données-là.

Il faudrait intégrer les comportements urbains dans du BIM pour savoir quel impact on aura sur les gens, et pas simplement sur le bâti et les infrastructures.

Cela rejoint la question du développement durable, sous l’aspect de la technologie. Souvent on dit que la technologie va tous nous sauver, et répondre aux problèmes de la croissance, du réchauffement climatique. Alors qu’en réalité le vrai facteur clé, c’est les comportements humains. Il suffit de regarder pendant le confinement, tout s’est arrêté et on a pu voir à travers le ciel de Shanghai. Le vrai metric du développement durable, ça devrait être le comportement humain.

Q : Quelle est votre ville idéale ?

> Luana : C’est une ville avec un système de transport optimisé, à sa taille. C’est une ville qui ne perpétue pas l’étalement urbain et qui sait créer un parc de logement décent pour ses habitants tout en préservant l’histoire des bâtiments importants. C’est une ville avec des parcs et de la végétation, une ville qui tourne de façon harmonieuse, ou du moins le plus possible. C’est la vision utopique qu’on espère atteindre grâce à nos metrics et à l’éducation !

> Nicolas : Pour moi c’est une ville « humaine ». L’échelle de la ville doit être humaine, y compris les échelles de décisions qui doivent être ramenées aux municipalités, aux communautés car les systèmes décisionnels sont trop centralisés.

Il faut que la ville soit « street smart intelligent », c’est-à-dire intelligente pour les gens. La ville doit être emphatique : elle doit considérer le milieu, le contexte mais aussi et surtout les gens.

Je crois et j’espère que ce sera la ville de demain, une ville proche de son histoire, de ses habitants. Une ville qui agirait comme un organisme où les habitants sont les parties prenantes et où la somme est davantage que ses parties, car lorsque l’ensemble de ces choses là, cela créé une ville harmonieuse. Et une ville harmonieuse, c’est une ville qui nous ressemble !

Où est-ce qu’on peut vous retrouver ?

> Nicolas : Il faut aller sur www.labnco.ca ! On est au Québec, peut-être bientôt en France. Nous ne sommes pas à court d’idées pour innover, beaucoup de chsoes se trament. Merci pour votre invitation, c’était un plaisir.

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